Éléments de décor : l’école

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L’être humain naît avec une tête aussi grande qu’il est possible qu’elle soit, afin de protéger son énorme cerveau. Comme s’il fallait compenser cet exploit, la nature a créé cet organe presque complètement vide, ce qui fait que le premier quart de la vie d’un petit d’homme est passé à apprendre. Il apprend par lui-même, par l’observation et par l’expérience, mais il apprend également des autres. Et à partir du moment où les connaissances deviennent trop spécialisées pour qu’elles soient enseignées uniquement par ses parents, il entre à l’école.

Dans ce billet, on s’intéresse à cette institution indispensable et imparfaite, immuable et en même temps en évolution constante, de la maternelle jusqu’aux premières années d’université, tout en incluant des écoles spécialisées, celles qui enseignent le sport, la danse, l’art ou d’autres disciplines. Quel que soit le domaine, quel que soit le niveau, quelle que soit la méthode, toutes les écoles jouent un rôle crucial dans nos existences, et elles constituent toutes un objet littéraire fascinant.

L’école, c’est sa raison d’être, est un lieu de transmission du savoir. C’est là que des enseignants, de plus en plus spécialisé et de plus en plus pointus, font passer ce qu’ils ont appris à des élèves ou à des étudiants, à travers des cours, des exercices, des ateliers ou toutes sortes d’autres outils pédagogiques. Toutefois, si c’était à cela que ça se cantonnait, on n’aurait aucun besoin de se pencher sur le cas d’une institution aussi banale.

Oui, l’école transmet les connaissances, mais elle le fait de manière imparfaite, frustrante, incomplète, biaisée. Afin de se montrer efficaces vis-à-vis du plus grand nombre, les professeurs laissent souvent de côté les individus qui ont le plus de difficultés dans chaque branche. Ceux-ci se font vite distancer et ont de plus en plus de peine à suivre, jusqu’à la rupture. À l’autre extrême, les éléments qui ont le plus de facilités sont freinés dans leur progression et ne parviennent pas à réaliser leur véritable potentiel parce qu’ils doivent attendre les autres – et ça aussi peut mener à un autre type de rupture. Les élèves à la marge doivent trouver d’autres moyens d’apprendre s’ils ne veulent pas être laissés de côté.

Autre difficulté : l’école n’est pas uniquement un lieu d’enseignement, c’est aussi un lieu d’éducation, qui apprend aux enfants à faire partie d’un groupe, à suivre une consigne, à respecter les règles, à se conformer aux instructions. Si tout cela est utile, cela signifie également que l’école est une machine à normaliser, un rouleau compresseur qui soumet chacun à une seule et même norme – les têtes qui dépassent sont peu appréciées, et les talents singuliers sont peu reconnus, voire activement combattus. Au nom de l’égalité des chances, l’école peut parfois se muer en une usine à médiocrité.

En plus de tout cela, l’école a un rôle à jouer au sein de l’économie. Plutôt que l’excellence des Grecs ou des Renaissants, elle poursuit comme objectif de transmettre aux enfants des connaissances de base qui sont jugées utiles pour l’économie. Elle sert à fabriquer des travailleurs qui vont pouvoir travailler et trouver leur place dans le tissu économique. Les talents qui ne sont pas immédiatement monnayables n’y trouvent pas facilement leur place.

Autre aspect qui peut être vécu comme une forme de violence : l’école est un lieu de socialisation. Elle apprend aux enfants à jouer en groupe, à nouer des amitiés, à forger des compromis, à convaincre et à toutes sortes de choses qui vont lui être utiles par la suite. Hélas, cette fonction n’est absolument pas encadrée : il est entendu que cet apprentissage de la vie en société va se faire naturellement, et que la seule mission de l’institution est de mettre un terme aux débordements trop visibles. C’est ainsi que se constituent des hiérarchies, que les enfants se divisent en clans, qu’il y a des harceleurs et des harcelés, des élèves populaires et des marginaux, des riches et des pauvres. En fait, du point de vue de l’organisation sociale et de la manière dont celle-ci se constitue, rien ne distingue une école d’une prison de haute sécurité.

À cause, ou peut-être grâce à toutes ces contradictions, mais aussi parce qu’elle intervient à un stade de la vie qui est celui de tous les apprentissages, et qu’elle occupe une place centrale dans d’innombrables cultures, l’école représente un objet littéraire digne d’intérêt, qui peut être utilisé de multiples manières différentes, pour raconter toutes sortes d’histoires.

L’école et le décor

Avant d’être une institution, l’école est un lieu. Ou plutôt : il s’agit d’un empilement de lieux différents, qui ne sont pas habités ni vécus de la même manière en fonction de qui on est. La salle de classe constitue donc un élément de décor particulièrement notable, celui où les élèves apprennent. Mais elle apparaît sous un jour différent à l’enseignant, lui qui y entre par obligation professionnelle ou par vocation, mais toujours avec des objectifs bien précis : pour lui les enjeux sont plus clairs et les murs plus étroits. Le même lieu peut être vu de manières bien différentes par les uns et par les autres, ce qui, en tant que tel, pourrait déjà servir de base à une histoire fascinante.

La salle des profs est un lieu au sein de l’école qui ne fonctionne pas selon les mêmes codes que les autres : ici c’est un lieu de socialisation, oui, mais pour les enseignants plutôt que pour les élèves. C’est aussi un lieu de travail, mais surtout un lieu de vérité, ou certaines choses qui ne sauraient être dites à haute voix ailleurs – à propos des enfants, des parents ou des supérieurs – sont partagées librement. Au fond, entre les romanciers, elle pourrait devenir un véritable décor de sitcom.

Les parents d’élèves aussi forment un groupe aux intérêts communs mais aux origines divergentes, et qui ont sur l’école un regard encore différent de ceux des élèves et des profs. Ils n’ont pas réellement de local qui leur est propre, en-dehors des réunions des associations qui les regroupent, mais ils constituent collectivement un microcosme dans lequel peuvent venir se loger toutes sortes d’histoires. Dans la catégorie des témoins privilégiés du monde scolaire, on peut aussi inclure ceux qui y travaillent sans y enseigner : les concierges, cantiniers, infirmiers, inspecteurs, etc…

Et puis l’école est également modelée par des individus qui n’y travaillent pas directement. Des experts en sciences de l’éducation qui échafaudent les prochaines réformes jusqu’aux élus qui prennent les décisions budgétaires et programmatiques qui vont modifier la vie quotidienne de tous les autres acteurs du monde scolaire, leur point de vue aussi peut être intéressant. Un roman racontant le périple d’un ministre de l’éducation idéaliste qui finit par accoucher d’une mauvaise réforme pourrait être passionnant.

En-dehors des lieux et des institutions, certains moments ont un potentiel plus grand que les autres d’intéresser un auteur. C’est naturellement la période des examens qui se prête le plus aux déconvenues, aux retournements de situation et aux sentiments exacerbés qui offre le plus de potentiel. Mais dans un système scolaire comme celui des États-Unis, où l’année scolaire est rythmée par quantité de bals et autres rituels qui ont peu de choses à voir avec l’enseignement, ces moments-charnière sont plus nombreux. C’est peut-être le cas aussi dans votre roman.

Pour des raisons différentes, une réforme scolaire, et la manière dont elle est vécue par les élus, les élèves, les profs et les parents, offre également un terreau fertile en matière de drames en tous genres. Un romancier pourrait s’en servir pour souligner l’absurdité de certaines orientations politiques en matière d’école.

L’école et le thème

Le thème par excellence qui se rattache à l’école, c’est celui de la formation, de l’évolution d’un individu. Cela renvoie à un genre en particulier, le bildungsroman, roman de formation, déjà évoqué ici dans le billet sur l’enfance. Tout simplement, parce qu’il grandit, parce qu’il traverse des épreuves, parce qu’il apprend, le personnage du début du roman est très différent de ce qu’il devient dans les dernières pages.

Plus généralement, le thème de l’apprentissage recèle lui aussi beaucoup de potentiel. Qu’est-ce que cela signifie d’apprendre ? Comment peut-on s’y prendre ? Pourquoi s’y astreint-on ? Qu’y gagne-t-on et qu’y perd-on ? L’histoire d’un mauvais élève qui parvient à surmonter ses difficultés pour se découvrir des talents qu’il ne soupçonnait pas est une trame classique qui peut être apprêtée de toutes sortes de manière différente.

Miroir du précédent, le thème de la transmission est également intéressant. Pourquoi enseigne-t-on ? Qu’est-ce qui nous pousse à nous consacrer à aider la prochaine génération à voler de ses propres ailes ? Qu’est-ce que cela apporte aux femmes et aux hommes qui s’y consacrent ? Comment procèdent-ils ? Qu’est-ce que cela leur coûte en termes de frustrations et de désillusions ? Un romancier pourrait d’ailleurs traiter les thèmes de l’apprentissage et de la transmission en parallèle, et montrer qu’il ne s’agit pas, dans les deux cas, d’un chemin facile, et qu’il existe de nombreux parallèles entre les deux situations.

L’école, qui est comme un modèle en miniature de la société, offre également l’occasion aux auteurs de jouer les naturalistes et d’examiner un groupe humain et ses mécanismes, dans un milieu fermé et coupé d’une bonne partie des complications du monde extérieur. Le monde scolaire fonctionne comme un petit univers avec ses propres règles, mais il s’agit également d’une bulle, et il peut être intéressant de chercher à savoir ce qui motive celles et ceux qui font le choix d’enseigner, et donc de ne jamais vraiment en sortir.

L’école et l’intrigue

Par nature, l’école est un lieu très structuré, ce qui offre à un écrivain un canevas où il peut placer son histoire.

Une journée scolaire à ses rythmes, de même qu’une semaine, avec un emploi du temps défini et souvent rigide, et on observe la même régularité au niveau de l’année scolaire dans son ensemble. Ce n’est pas par hasard que J.K. Rowling a choisi le cadre d’une année d’enseignement pour y inscrire chacun des romans de sa série Harry Potter. Un autre type de récit pourrait très bien s’inscrire dans un temps plus bref : une semaine, voire une journée d’école, avec ses passages obligés et son temps structuré par des cours et des pauses.

Et puis, même s’il s’agit d’une notion qui se prête moins naturellement à structurer un récit, un roman pourrait être rythmé par les notes et les moyennes d’un élève : l’évolution de ses performances scolaires ajoutant une notion de suspense qui pourrait donner à une histoire une forme intéressante.

L’école et les personnages

Tout le monde ou presque est allé à l’école, a connu un cursus court ou long, a rencontré des difficultés d’ordre académique, social ou existentiel. Cela peut aider à définir vos personnages : comment ont-ils traversé leur période scolaire ? Est-ce qu’il s’agit de quelque chose qui les a marqués, qui a laissé sur eux des traces, qui a forgé leur attitude vis-à-vis de l’école en général ? Et s’ils sont parents, quel regard portent-ils sur le cursus de leurs enfants ? Sont-ils impliqués ? Sévères ? Laxistes ?

La plupart des adultes ne pensent plus trop à leur propre parcours scolaire au fil des années, aussi il n’est pas indispensable que vous réfléchissiez à la question pour chacun de vos personnages, mais ça peut être une manière d’enrichir l’un d’entre eux. Mais naturellement, si votre roman se passe à l’école, ou si la notion de transmission joue un rôle très important dans votre univers, il peut être enrichissant de mener cette réflexion, même de manière brève, pour la plupart d’entre eux.

Ainsi, un roman de fantasy mettant en scène des moines-guerriers ou des enchanteurs sortis de l’académie de magie pourra souhaiter inclure cette dimension dans la définition des personnages. À l’inverse, si votre personnage principal est chauffeur poids lourd et qu’il n’a conservé aucun lieu, aucune blessure et aucun souvenir marquant de son passage à l’école, il est inutile de trop y réfléchir : ça ne vous apportera rien.

Variantes autour de l’école

La littérature jeunesse a trouvé dans l’école la toile de fond universelle de toutes les histoires, et, en particulier depuis Harry Potter, on ne compte plus les romans dont le décor est une école ou un lycée avec un côté un peu spécial – en général, il suffit de rajouter un qualificatif : l’école des vampires, l’école des clones, l’école qui voyage dans le temps, l’école des sorcières, l’école sous la mer, l’école des robots, l’école de l’espace. Les variations sont infinies, même si au fond ça revient juste à changer la couleur du sirop dans le granité : on reste sur la trame hyperclassique du milieu scolaire, auquel on accole un élément d’exotisme pour que l’œuvre se distingue tout de même un peu.

Pour le reste, les variantes de l’école qu’on trouve dans la littérature de genre consistent généralement à supprimer l’école et à la remplacer par une solution technologique pour accélérer l’apprentissage : hypnose, transmission de pensée, réalité virtuelle, ou même injections par intraveineuse, comme dans le film « THX 1138 » de George Lucas.

Pourtant, entre l’école immuable de la littérature jeunesse et l’école sans école de la littérature de genre, il doit y avoir d’autres solutions, qu’il serait intéressant d’explorer dans des romans. Et si on écrivait un roman post-apocalyptique dans lequel des profs tentent de maintenir tant bien que mal une école et se lancent dans des expéditions risquées dans les ruines des grandes villes dans le but de trouver des livres ? Et si une civilisation extraterrestre créait une école destinée aux plus grands cerveaux de l’humanité, dans le but de les préparer aux concepts complexes qu’ils devront maîtriser une fois que la Terre s’ouvrira aux autres espèces qui peuplent le cosmos ? Et si un enfant humain et un enfant lutin participaient à un programme d’échange, le premier allant dans une école de lutins, à apprendre à parfumer la rosée du matin, à changer la couleur des papillons et à disparaître derrière des champignons, le second s’initiant aux maths, à l’histoire et à la gymnastique ?

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5 réflexions sur “Éléments de décor : l’école

  1. Ou alors, écrire un livre parlant d’une famille dont les enfants sont instruits à domicile… 😉
    C’est le cas d’un de mes romans jeunesse. 😛

    Cette histoire mise à part, j’avais beaucoup aimé créer une école dans mon premier roman de fantasy : il s’agissait pour le nouveau roi de mon pays imaginaire de façonner une nouvelle religion avec de nouvelles valeurs… Si je devais réécrire ce livre aujourd’hui, j’exploiterais sûrement davantage cet aspect.

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  2. J’adore toujours autant les nombreuses pistes que tu suggères 🙂
    D’autres thèmes que je trouve intéressants autour de l’école :
    – Le mélange des générations. Les petits du primaire qui observent ceux du collège, ceux du collège qui admirent les grands du lycée, et ces derniers qui se demandent s’ils ont vraiment été un jour aussi petits que les élèves de 6ème…
    – Les associations dans l’école et les lieux qui les abritent. Au lycée, je faisais à la fois partie de la chorale et de l’association de théâtre, ce qui m’amenait souvent à revenir à l’école le soir où le week-end pour des répétitions. Et j’adorais ces moments où les locaux étaient presque vides, où on pouvait courir dans les couloirs sans surveillance et se promener dans des endroits traditionnellement interdits…

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