Écrire les enfants

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Dans un billet précédent, je me suis intéressé aux différentes manières de se servir de l’enfance et des enfants dans le cadre du décor, du thème, de l’intrigue et des personnages d’un roman. Ce que je n’ai pas fait, et qui pourtant peut se montrer très utile pour les romanciers, c’est de me pencher sur les meilleurs moyens de créer et de faire vivre sur la page des personnages d’enfants.

Même pour celles et ceux qui ont l’habitude de côtoyer des personnes mineures, soit dans leur famille, soit dans leur environnement socio-professionnel, leur donner vie dans un texte romanesque peut se révéler être un défi épineux. Créer un personnage d’enfant, c’est s’exposer à différents pièges dans lesquels il est facile de tomber. On perçoit tous de manière intuitive qu’un enfant, c’est un être différent d’un adulte, mais il n’est pas toujours facile d’articuler ces différences, ni d’ailleurs de constater les points communs. En créant un personnage enfantin, on aura tôt fait de tomber dans la caricature, ou de quitter le registre réaliste, jusqu’à créer des personnages qui ne ressemblent à aucun être humain connu.

Les conseils ci-dessous doivent vous permettre d’éviter les principaux écueils, tout en créant une vaste gamme de personnages d’enfants différents les uns des autres.

Chaque enfant est un individu

Ça peut sembler évident de le postuler de cette manière, mais c’est pourtant le conseil le plus utile que l’on puisse délivrer à leur sujet : les personnages d’enfants sont des individus, exactement dans les mêmes proportions que les personnages d’adultes. « Enfant » n’est pas un descriptif psychologique qui permette de comprendre quelqu’un, pas plus que « Femme » ou « Danois » : il y a autant de différence de tempérament entre deux enfants qu’il y en a entre n’importe quels autres membres de l’espèce humaine.

Il vous suffit de vous souvenir de votre propre enfance pour réaliser que chacun, dès son plus jeune âge, a un caractère bien à lui, des priorités différentes, une certaine manière de s’exprimer, des choses qu’il aime ou qu’il déteste, etc… Les règles ordinaires qui s’appliquent aux autres personnages de roman s’appliquent aussi aux personnages enfants, et s’en rendre compte permet d’éviter un certain nombre d’ornières dans lesquels tombent certains auteurs.

Chaque enfant poursuit des buts qui lui sont propres

Même si les enfants, pour la plupart, ne sont pas maîtres de leur destin et ne prennent pas eux-mêmes la plupart des décisions qui régissent leur quotidien, cela ne signifie pas qu’ils traversent l’existence comme des automates, sans espoirs ni aspirations spécifiques. Comme les personnages adultes, les enfants poursuivent des buts. En réalité, on pourrait même dire que la réalisation de leurs buts leur tient plus à cœur et les motive davantage que les adultes, et qu’ils ont moins tendance que ces derniers à laisser l’échec ou la réalité les décourager.

Qu’ils soient poussés en avant par l’envie de courir dans tous les sens, de se déguiser, de dessiner ou alors qu’ils aient des aspirations plus sérieuses, liées aux circonstances de leur existence, comme le souhait de vivre dans une famille harmonieuse, de faire taire ceux qui les harcèlent ou de visiter le pays de leurs origines, les enfants sont des créatures animées par leurs souhaits. Ceux-ci peuvent être durables ou éphémères, mais pour écrire un personnage d’enfant de manière convaincante, garder à l’esprit le but que celui-ci poursuit est un passage obligé.

Résistez à l’envie de les rendre mignons

C’est la nature qui nous programme à trouver les enfants mignons et à les protéger. Comme toujours, il y a des exceptions, mais en principe, n’importe quel mammifère adulte va parvenir à reconnaître n’importe quel petit de mammifère, de son espèce ou d’une autre, et dans certains cas va même prendre soin de lui.

Ce n’est pas une raison pour tenter de recréer cette émotion en littérature. L’instinct de protection qui envahit la plupart d’entre nous en présence d’un petit d’homme est une réaction viscérale, mais cela ne signifie pas que tout chez les enfants est mignon et prétexte à l’émerveillement. Traitez-les comme n’importe quel autre personnage et ne faites pas particulièrement d’efforts pour émouvoir vos lecteurs par leur entremise. S’ils sont touchants, ce sont les circonstances qui en décideront ainsi. Sans cela, vos personnages d’enfants ne seront guère plus que des pantins sans substance.

Les enfants sont rarement stupides, rarement géniaux

Si vous n’avez pas l’habitude de côtoyer des enfants, il est possible que vous pensiez qu’ils sont un peu idiots. Ce n’est pas le cas. En règle générale, les enfants ne sont pas du tout plus bêtes que les adultes, si on définit l’intelligence comme la capacité de trouver des solutions lorsqu’on est confronté à une situation nouvelle. Ils peuvent avoir d’autres traits qui peuvent être interprétés comme des défauts intellectuels (voir ci-dessous), mais pas un manque d’intelligence.

Dans vos romans, évitez donc d’écrire des scènes où des enfants sont incapables de comprendre des choses simples, de mener des raisonnements de base, ou d’assimiler ce qui se trouve juste devant eux. Ce n’est pas ainsi que ça marche.

À l’inverse, évitez également les personnages de petits génies, dont les facultés dépassent de loin celles des adultes. À moins qu’il existe une explication, les enfants sont aussi intelligents que les grandes personnes, ni plus, ni moins.

Les enfants manquent de perspective

Elle est là, la véritable faille cognitive des enfants : ils manquent d’expérience de vie. Forcément, me direz-vous, quand on a six ans, on peut difficilement avoir autant de bouteille que quand on en a quarante.

C’est ça qui peut parfois donner l’impression qu’ils ont des difficultés de compréhension : il leur manque la perspective pour relier les concepts les uns aux autres et saisir leur importance. Plus un enfant est petit, moins il pourra s’appuyer sur son vécu pour tirer les bonnes conclusions.

Exemple : qui sont les policiers et en quoi consiste leur travail ? Un tout petit enfant comprendra sans doute qu’ils sont chargés d’arrêter les méchants, mais aura du mal à saisir les tenants et les aboutissants de cette occupation. En grandissant, il acquerra davantage de connaissances, jusqu’à avoir une idée plus claire de la journée-type d’un membre des forces de l’ordre. Ensuite, à l’adolescence, le cynisme et les expériences personnelles lui donneront peut-être un point de vue plus critique vis-à-vis de la profession. Cela dit, à chaque âge, si l’on prend la peine de lui expliquer les choses dans le détail, il pourra sans doute saisir l’essentiel.

Les enfants ressentent les émotions autrement

Pour un enfant, tout est important. Faire la part des choses ne figure généralement pas dans ses priorités. S’il estime avoir été victime d’une injustice, être incompris ou généralement vivre une situation désagréable, il ne manquera pas de le faire savoir. Tous ne l’expriment pas de la même manière, mais en général, toutes les douleurs sont absolues pour un enfant, en particulier les plus jeunes d’entre eux, quitte à laisser de côté la raison et la tempérance.

Alors qu’un adulte apprendra à faire l’inventaire des désagréments, et à donner à chacun d’entre eux sa juste place, un enfant risque de se laisser envahir par le chagrin, et de donner à celui-ci une forme explosive. Au contraire, certains se terrent dans le mutisme ou se font fuyants. En général, si un personnage d’enfant était adulte, une bonne partie de ses réactions seraient considérée comme excessive.

L’imagination et les enfants

Comme l’a si brillamment démontré Boulet dans un de ses « Carnets », la fabuleuse imagination des enfants tient davantage du mythe que de la réalité. En réalité, comme toute personne qui a déjà eu l’occasion de côtoyer des enfants peut en attester, ceux-ci ne sont pas ces merveilleuses éponges à fantaisie, jamais rassasiés de féerie et d’idées neuves : ce qui leur plaît, c’est la répétition des choses familières. Fondamentalement, un enfant, c’est quelqu’un qui peut regarder « Cars » ou « La Reine des Neiges » trente fois de suite. Et si on leur demande d’inventer quelque chose de neuf, la plupart du temps, ils vont combiner des éléments et des personnages connus.

En particulier, c’est ce qu’on observe dès qu’ils sont scolarisés. L’école est le ferment du conformisme. Les très jeunes enfants, au contraire, sont capables de générer des associations d’idées aléatoires en flux continu, qui tiennent moins d’un imaginaire structuré que d’un rêve enfiévré.

Bref, c’est à retenir quand on souhaite mettre en scène des personnages mineurs : ceux-ci sont des consommateurs gourmands d’imaginaire, mais rarement des producteurs.

Le langage des enfants

En ce qui concerne la conversation de tous les jours, les enfants ne parlent pas de manière très différente des adultes. Si vous demandez à une fille de onze ans ce qu’elle a mangé à midi, sa description va beaucoup ressembler, du point de vue du vocabulaire, à un récit similaire produit par sa maman de quarante ans.

Les principales différences résident plutôt dans la construction du discours : un enfant, comme il manque de perspective, a davantage de mal qu’un adulte à hiérarchiser les informations les plus pertinentes. Bien souvent, il les livres pèle-mêle, sans les classer ni les connecter les unes aux autres. En grandissant, il apprendra progressivement à structurer ses propos.

Pour le reste, quand on écrit les dialogues d’un personnage mineur, les règles ne sont pas très différentes de celles d’un personnage majeur : n’abusez pas de ses particularités. Évitez à tout prix de lui attribuer un langage bébête, de lui donner des tics de vocabulaire, de mal lui faire prononcer certains mots ou pire, d’intégrer un zozotement dans les dialogues. Les enfants ne parlent pas comme ça : il est conseillé de les écouter un peu avant de se mettre à écrire.

⏩ La semaine prochaine: Écrire les adolescents

19 réflexions sur “Écrire les enfants

  1. Un excellent article, plein de conseils utiles, je le garde dans mes favoris.
    C’est vrai que dans la fiction les enfants sont souvent réduits à des stéréotypes (par exemple l’idée de l’enfant « voix de la sagesse », qu’est-ce que ça m’agace ^^’)

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  2. J’avais envie de compléter la partie imagination, où tu passes rapidement sur l’importance de l’apprentissage (donc de l’influence de l’adulte dans son développement). Les jeunes enfants sont créatifs, car ils n’ont pas les idées préconçues imposées par l’éducation et l’expérience, pour trouver notamment de nouveaux usages à un objet. L’expérience du trombone de Guilford en est un bon exemple. Lorsque le psychologue demande à des adultes à quoi peut servir un trombone, ils donnent en moyenne une dizaine d’utilisations. Les enfants de moins de sept ans montent à une centaine d’utilisations (voire plus), tout simplement parce qu’ils ne se restreignent pas aux idées préconçues sur le trombone. Le chercheur a-t-il dit que celui-ci devait être en métal, qu’il ne devait faire que 2 centimètres, ou qu’il ne devait servir qu’à des choses « utiles » ? Non. Seulement, l’adulte part du principe qu’on parle du trombone basique et qu’il doit avoir une utilité, alors que l’enfant ne s’impose pas ces contraintes. Qu’arrive-t-il deux ans plus tard, lorsque l’enfant atteint l’âge de raison ? Il donne beaucoup moins de solutions, parce qu’on l’a éduqué pour intégrer que le trombone ne fait pas 30m de haut ou qu’il n’est pas en mousse (et que le penser, c’est être « bête »). L’enfant de plus de sept ans est un copieur, parce que l’éducation l’a voulu ainsi. On peut donc penser qu’une société qui n’impose pas cette méthode d’apprentissage peut permettre à ses enfants d’avoir une plus grande imagination.

    PS : la façon dont les adultes réagissent au test du trombone permet aussi de voir combien il est important pour certains d’entraver une imagination qui ne semble pas réaliste ou logique. Une bonne partie des étudiants qui ont fait le test en ma présence se sont indignés en disant que les enfants ne respectaient pas les mêmes règles qu’eux et qu’il aurait fallu qu’on précise la nature du trombone pour ne pas que les enfants « racontent n’importe quoi ».

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    • Merci beaucoup pour ce précieux complément d’information.

      Pour faire l’avocat du diable, bien que je pense que cette analyse soit essentiellement correcte, je pense que les petits enfants sont capables de générer une quantité d’idées sans limites et de les aligner les unes derrière les autres, ce qui est très divertissant quand on vit avec eux, mais au fond ça ressemble assez peu à ce qu’on appelle d’ordinaire l’imagination, et c’est pour ça que je les ai qualifiées de « rêves enfiévrés. » Ces idées ne sont pas connectées les unes aux autres, elles ne sont pas conceptualisées, c’est juste du matériau brut qu’on ne peut pas utiliser tel quel. Par exemple, si un enfant dit qu’il aimerait avoir un tapis volant fait en courgettes, ou que ça serait rigolo si les chèvres pouvaient boire de la lave, oui, c’est sans limites, mais dans une perspective littéraire ça a relativement peu d’intérêt. Bref, il ne s’agit pas d’entraver l’imagination des enfants, il s’agit de leur apprendre à construire leurs idées.

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  3. L’imagination des enfants, ça s’apprend comme le reste. Je me souviens d’un pré-ado qui était a côté de moi dans un bus inter-municipalité. Il s’ennuyait. Je lui ai suggéré d’imaginer que la forêt en bordure de route et les champs étaient le fond de l’océan, que le bus était un requin, les oiseaux, des poissons, etc. Il a trouvé que j’avais beaucoup d’imagination. Je l’ai regardé l’air de dire: c’est toi le kid. Il ne s’est plus plaint du voyage et regardait dehors.
    L’imaginaire s’apprend. J’ai dû lui montrer ce que moi-même on m’avait montrer. Tout ça pour dire que le contexte familiale de l’enfant influencera là-dessus. Un personnage imaginatif risque fort bien d’avoir un tuteur quelque part aussi imaginatif. Ça entre dans la cohérence du roman aussi, tiens!

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  4. L’imagination des enfants, ça s’apprend comme le reste. Je me souviens d’un pré-ado qui était a côté de moi dans un bus inter-municipalité. Il s’ennuyait. Je lui ai suggéré d’imaginer que la forêt en bordure de route et les champs étaient le fond de l’océan, que le bus était un requin, les oiseaux, des poissons, etc. Il a trouvé que j’avais beaucoup d’imagination. Je l’ai regardé l’air de dire: c’est toi le kid. Il ne s’est plus plaint du voyage et regardait dehors.
    L’imaginaire s’apprend. J’ai dû lui montrer ce que moi-même on m’avait montré. Tout ça pour dire que le contexte familiale de l’enfant influencera là-dessus. Un personnage imaginatif risque fort bien d’avoir un tuteur quelque part aussi imaginatif. Ça entre dans la cohérence du roman aussi, tiens!

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    • Merci ! Je pense qu’écrire de manière convaincante des adolescents, c’est fondamentalement difficile, parce que la nature même de l’adolescence fait que nous avons l’impression d’en avoir vécu une expérience singulière et que nous nous reconnaissons difficilement dans celle des autres.

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