Les personnages secondaires

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Dans la chronique précédente, je me suis intéressé aux personnages principaux d’un roman, en tentant de dégager quelques pistes destinées à leur donner de la profondeur et à donner envie aux lecteurs de suivre leurs aventures.

Les personnages secondaires ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière. Leur rôle dans l’intrigue est accessoire et utilitaire : ils n’emmènent pas l’histoire avec eux, c’est l’histoire qui s’arrête à leur porte brièvement, avant de repartir. Cette vision de leur rôle, qui est important mais limité dans le temps et dans sa portée, conditionne tous les conseils qui suivent (bref si déjà là vous n’êtes pas d’accord, on se retrouve pour une belle baston dans les commentaires).

Les personnages secondaires sont définis par leurs stéréotypes

Ce ne sont pas ses actes qui définissent un personnage secondaire, parce que bien souvent, le roman n’a pas assez de place à leur consacrer pour les voir agir et présenter toutes sortes de subtilités au lecteur à travers leurs actions. À la place, les personnages secondaires sont l’incarnation de stéréotypes, simples et facilement identifiables.

Moins un personnage sera présent dans le roman, plus les ficelles utilisées pour le définir seront épaisses. Un tavernier présent dans une seule scène sera pensé comme un simple « tavernier bougon », alors qu’un personnage secondaire récurrent sera un peu plus étoffé, comme par exemple un « écuyer pleutre mais poli qui descend d’une bonne famille. » En général, une simple formule composée de quelques mots suffit amplement à définir un personnage secondaire. Pas besoin d’écrire toute sa biographie.

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Les personnages secondaires sont mémorables

Comme les personnages secondaires ont peu de temps pour laisser une impression sur le lecteur, la fadeur est interdite : il faut qu’ils aient du tempérament, qu’ils laissent une trace immédiate dans la mémoire, afin qu’ils ajoutent de la couleur dans le récit.

Un personnage terne risque d’être instantanément oublié, et de se réduire à un élément de l’intrigue : un obstacle, un adversaire, ou un pourvoyeur d’information par exemple. Donc donnez-leur au moins une caractéristique qu’on retient immédiatement : un détail physique (grand, gros, borgne, bossu), un défaut (bègue, sale, méfiant, enrhumé), un élément de réputation (le meilleur bretteur, incroyablement malchanceux, le seul survivant d’une catastrophe), etc…

Pas besoin de tomber dans la caricature, mais à moins d’écrire un roman psychologique (ou tous les personnages sont en général des personnages principaux), il ne faut pas trop se tracasser si tout cela manque de subtilité. Réservez la finesse à vos personnages principaux, les autres sont plutôt là pour mettre un peu de vie dans le décor.

Les personnages secondaires changent peu

Ce qui caractérise les personnages principaux, c’est qu’ils changent au cours du roman, on a eu amplement l’occasion de s’en apercevoir. En principe, par contre, un personnage secondaire change peu ou pas du tout au cours du roman. Son parcours psychologique ne nous intéresse pas, seul compte le rôle qu’il joue dans le récit, et la manière dont il peut contribuer au cheminement des personnages principaux.

Donc je résume en gros traits grossiers : un personnage secondaire va rester identique tout au long du roman, dans chacune de ses apparitions, à moins que les changements qu’il subit aient un impact sur l’un ou l’autre des personnages principaux.

Si la paysanne à la langue bien pendue perd un œil parce que le jeune héros qui est le protagoniste du roman n’a pas, par excès de confiance su la protéger, ce changement physique n’existe que parce qu’il sert le personnage principal. De même, si la jeune recrue du commissariat devient cynique après avoir été confronté à la corruption policière, cela peut donner l’impulsion qui va faire évoluer le personnage principal d’un polar. Dans un cas comme dans l’autre, les changements observés chez les personnages secondaires n’existent pas pour eux-mêmes, mais en tant que point d’orgue de l’intrigue.

Les personnages secondaires ont une fonction dans l’intrigue

Bien souvent, un personnage secondaire sera davantage défini par la place qu’il occupe dans l’histoire que par les détails de sa vie intérieure. Les personnages secondaires sont des éléments d’intrigue, au même titre que le décor, les catastrophes naturelles, les coups du sort et les révélations : ils compliquent la vie des personnages principaux en s’opposant à eux ou en s’emparant de ce qu’ils convoitent, ils la facilitent en leur délivrant des informations ou des objets utiles, ils leurs donnent des motivations en leur confiant des missions, en les appelant à l’aide ou en commettant des actes répréhensibles. Bref: ils n’existent que pour le rôle limité qu’ils jouent dans l’histoire. Le talent du romancier consiste à donner l’illusion que ces figures de carton-pâte ont une vie en-dehors des scènes où ils figurent, mais du point de vue de la construction du roman, ils ont un simple rôle à jouer.

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Les personnages secondaires ont des connexions

Alors que les liens sociaux qui entourent un personnage principal servent à le définir, ceux qui entourent un personnage secondaire ont une pure portée utilitaire. Songez à la figure de l’indic dans les romans policiers : sa seule fonction est de connecter le protagoniste-enquêteur à d’autres personnages qui vont lui fournir des pistes et lui délivrer des informations.

Cette toile de relations humaines se confond (une fois de plus) avec l’intrigue : si les liens des personnages principaux les enrichissent, les connexions des personnages secondaires sont des ressources au service des personnages principaux, ou des sources d’embêtement quand un adversaire pas content appelle ses copains à la rescousse.

Les personnages secondaires ont des particularités

Ce ne sont pas leurs actes ni leur failles qui distinguent les personnages secondaires : ce sont leurs signes particularités, leurs excentricités, leurs idiosyncrasies. En général, il suffit d’avoir une idée distinctive pour donner du relief à un faire-valoir. Davantage, et on risque surtout d’installer la confusion.

Dans la mesure où les personnages secondaires sont principalement définis par leur rôle dans l’histoire ou par leur métier, il peut être intéressant de leur donner un trait distinctif qui soit aux antipodes de tout ça : la petite jeune fille fragile qui a aperçu l’assassin profite de chaque occasion pour fumer en cachette, le gros dur de la pègre est un énorme fan de karaoké, le chef-comptable est sourd-muet, etc… Il suffit de très peu de choses pour donner de l’épaisseur à un personnage secondaire.

Les personnages secondaires reflètent les personnages principaux et le monde

On l’a vu, les personnages secondaires sont là pour enrichir l’intrigue, mais ils peuvent également étoffer le décor ou même le personnage principal. Leur existence-même peut venir apporter des éclaircissements sur le protagoniste, si, par exemple, ils font tous les deux partie d’une même organisation ou pratiquent le même métier. Leurs points communs comme leurs différences vont apporter des repères au lecteur pour mieux comprendre les personnages principaux.

Un personnage secondaire peut également incarner à lui seul une organisation, puisque c’est à travers lui qu’on va la découvrir : le petit apprenti de la Guilde des magiciens aura pour raison d’être de mieux nous faire comprendre le fonctionnement de son organisation, mais aussi des arts magiques ; l’enquêteur de la police des police offre à la fois une figure de flic différente de celle de l’enquêteur qui sert de protagoniste à l’intrigue, mais à travers lui on découvre le fonctionnement et la raison d’être de sa brigade, ce qui peut être utile à l’intrigue comme au développement des thèmes du roman.

Les personnages secondaires ont des tics de langage

Il n’est pas nécessaire de trop réfléchir à la manière de parler d’un personnage secondaire : comme pour les autres détails, il suffit généralement de lui donner une seule caractéristique singulière, pas davantage. Ainsi, si votre personnage tutoie tout le monde, parle de lui-même à la troisième personne, s’exprime par monosyllabes ou se montre excessivement courtois, la mission sera déjà largement remplie, pour les rares apparitions où ce type de personnage obtient des lignes de dialogue.

Les personnages secondaires ont un nom simple

La plupart du temps, les personnages secondaires seront mémorables en raison de leur rôle dans l’intrigue et des quelques signes particuliers dont vous les aurez dotés. Il est rare que l’on retienne leur nom. Du coup, il n’est pas toujours indispensable de les baptiser (leur fonction peut suffire, ou un simple élément de description : le boucher, la petite mathématicienne, le frisé).

Si vous leur donnez un nom, choisissez quelque chose de simple, pas plus de deux syllabes si possible, et limitez-vous dans la mesure du possible à un prénom ou à un nom (mais pas les deux). Inutile d’encombrer la tête du lecteur avec ce genre de détail, à moins que, pour les raisons de l’intrigue, il soit indispensable qu’il s’en souvienne, par exemple si le sympathique professeur d’université croisé au début du roman finit par être victime d’un meurtre, auquel cas il va vite se transformer en intrigue secondaire, et donc en sujet de conversation, et il aura donc besoin d’un vrai nom.

Les personnages secondaires sont simples

Les romanciers sont comme des jardiniers : ils ont envie de bichonner leurs personnages comme autant de magnifiques massifs de fleurs, d’y ajouter des bouturages, des tuteurs, des protections contre les parasites et d’innombrables détails. Il faut résister à cette tentation. Dans un roman, il y a une limite au nombre de détails que l’on peut communiquer au lecteur efficacement avant qu’il craque. Concentrez-vous sur vos personnages principaux, et faites en sorte que vos personnages secondaires restent simples.

Chaque fois que vous seriez tentés de rajouter un détail supplémentaire à un personnage secondaire, demandez-vous si c’est indispensable, au vu des conseils qui précèdent. Si la réponse est non, ne le faites pas : tout détail qui n’est pas indispensable est inutile, voire contreproductif.

📖 La semaine prochaine: les personnages – quelques astuces

16 réflexions sur “Les personnages secondaires

  1. Une fois de plus, un article très intéressant, qui fait joliment écho à ta réflexion précédente sur les personnages principaux. Par curiosité, pourquoi disais-tu que cet article serait sûrement plus contesté que l’autre ?

    Pour ma part, je n’ai rien à ajouter par rapport à ce que tu dis. Les clés que tu présentes sont, à mon sens, super importantes pour comprendre et aborder la construction des personnages secondaires. Peut-être ai-je tort, mais j’ai l’impression qu’on tolère plus facilement les clichés quand ils sont portés par les personnages secondaires. Justement car ils doivent être reconnaissables.

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    • Merci ! Je pensais (à tort) que cet article serait plus polémique parce que j’y décris les personnages secondaires comme des automates sans épaisseur, des éléments de décor, et je connais beaucoup d’auteurs qui sont très attachés émotionnellement à leurs personnages, y compris les plus mineurs.

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      • OK, je vois ce que tu veux dire. En fait, de mon point de vue, l’un n’empêche vraiment pas l’autre : on peut être attaché à ses personnages secondaires et connaître leur histoire, leur personnalité, leurs failles, tout en sachant aussi que pour des raisons de rythme et de narratologie, on ne peut pas tout montrer d’eux. Je ne pense pas que les caractéristiques que tu décris en font des automates sans épaisseur, au contraire. C’est juste une manière efficace de laisser entrevoir leur relief en peu de lignes.

        Comme tu le dis, la logique est complètement différente, selon qu’on parle de personnages principaux qui ont toute la longueur du roman pour évoluer, ou de personnages secondaires qui n’ont que quelques secondes pour jouer leur rôle et laisser leur marque chez le lecteur.

        Bref, toujours un plaisir de te lire !

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  3. Globalement d’accord même si je trouve utile de préciser que, comme pour beaucoup de domaines, si ces règles servent effectivement de bases et qu’il faut savoir les manier, parfois y déroger est ce qui fait aussi la substance d’un roman.
    Il me semble d’ailleurs qu’il existe de toute façon plusieurs « strates » de personnages principaux et secondaires et que tous ne doivent pas subir le même traitement.

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    • C’est très vrai. On pourrait même aller plus loin et dire que chaque personnage est un cas particulier.
      Maintenant, si je peux par moment me laisser aller à adopter un ton un peu catégorique dans ces billets, c’est aussi parce que je sais que beaucoup d’auteurs (et j’en fais partie) ont tendance à se dire « Je suis un artiste, je me fiche des règles, je fais ce que je veux. » Faisons du hors-piste, oui, mais d’abord, sachons où est la piste. 😉

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